Le point de vue français sur les accords matrimoniaux

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Divorce

Considérations sur l’anglais et le français

A look at marriage contracts between France and England

Loi applicable en France

En France, la question du régime matrimonial est réglementée. Le règlement européen (UE) 2016/1103 du 24 juin 2016 est entré en vigueur le 29 janvier 2019. Pour tout couple se mariant après janvier 2019, c’est ce règlement européen qui sert de cadre.

Pour les couples mariés entre 1992 et 2019, nous nous référons à la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux du 14 mars 1978.

En France, il est possible d’opter pour la loi anglaise dans un contrat de mariage. L’article 26 de ce règlement permet de choisir la loi de la nationalité de l’un des époux ou de choisir la loi de la résidence habituelle de l’un des époux.

Et en Angleterre ?

En Angleterre, le concept de régime matrimonial n’existe pas. Le mariage ne modifie en rien la manière dont le couple va acquérir, détenir et disposer de ses biens. Les époux restent deux personnes distinctes. Il n’y a pas de déclaration fiscale commune en Angleterre. Les époux peuvent décider d’acheter des biens en commun de deux manières :

  • Joint tenancy : les deux conjoints acquièrent ensemble. Ils possèdent conjointement 100 % du bien. Si l’un des conjoints décède, l’autre conjoint dispose de la totalité du bien.
  • Tenancy in common : chaque conjoint a une part du bien ; elle peut être de 50 % si rien n’est spécifié. Si les parties souhaitent consigner leurs différentes propriétés et contributions, cela est possible et est consigné dans un acte de fiducie.

En Angleterre, il existe une protection du domicile conjugal qui appartient uniquement à l’un des conjoints. Le conjoint non propriétaire peut enregistrer gratuitement ses droits au cadastre et l’autre conjoint ne pourra pas vendre son bien car une mention “home rights” figurera sur le titre de propriété.

S’il n’y a pas de régime matrimonial en Angleterre, comment répartir les biens lors du divorce ? Les tribunaux anglais utilisent deux ou trois concepts :

  1. Partage
  2. Besoins
  3. Compensation

Le principe de partage signifie que tous les biens matrimoniaux seront partagés de manière égale entre les parties. Le principe des besoins intervient dans le partage pour s’assurer que les besoins de la partie la plus faible financièrement sont satisfaits. C’est la raison pour laquelle le partage se fait parfois à raison de 60 % pour la femme et de 40 % pour le mari, ou selon d’autres pourcentages. Le troisième principe est très rarement appliqué. Il est utilisé par les tribunaux anglais pour compenser la perte de revenus dans une situation où l’une des parties a mis fin à sa brillante carrière pour devenir femme au foyer. Certains juges plaident pour l’abandon total de ce concept.

Contrats de mariage en France ?

Si un couple se marie en Angleterre et s’y installe, les avocats, notaires et juges français considéreront que le régime matrimonial applicable à ce couple est l’équivalent du régime français de séparation des biens. Il peut être judicieux pour un couple français vivant en Angleterre et se mariant en Angleterre de consigner ses intentions et ses souhaits quant à la loi applicable à son régime matrimonial dans un contrat de mariage.

Le juge français reconnaît les contrats de mariage étrangers à condition qu’ils respectent les formalités requises par la loi de la résidence habituelle des époux.

Contrats de mariage en Angleterre ?

Pendant très longtemps, en Angleterre, les contrats de mariage ont été illégaux. Il n’était pas possible de se soustraire au pouvoir discrétionnaire du juge. Le concept d’autonomie des parties s’est développé dans les tribunaux de la famille et les contrats matrimoniaux ont fait leur apparition dans les salles d’audience des tribunaux dans les années 70. À l’époque, les juges les considéraient comme un facteur parmi d’autres pour décider de la répartition des biens en cas de divorce. L’existence d’un contrat matrimonial était l’un des nombreux facteurs de l’article 25 de la loi de 1973 sur les causes matrimoniales (Matrimonial Causes Act 1973).

Les contrats de mariage sont de plus en plus fréquents de nos jours. Ils sont signés pour protéger le patrimoine. Ils sont également signés en cas de second mariage. Enfin, ils sont signés lorsqu’il y a des facteurs internationaux, par exemple des ressortissants français vivant en Angleterre.

Contenu des contrats de mariage

En France, le contrat de mariage indique comment les parties détiennent leurs biens, comment elles contribuent aux dépenses de la famille et ce qui se passe en cas de décès. La loi applicable au régime matrimonial peut être une loi étrangère. Le droit français connaît quatre régimes matrimoniaux. Le régime légal, s’il n’y a pas d’élection, de choix, est la communauté d’acquêts. Par contrat, les époux peuvent choisir le régime de la séparation des biens ou le régime de la communauté universelle ou le régime de la participation aux acquêts.

En Angleterre, et après le Brexit, parce que les règlements de l’UE ne s’appliquent pas, la loi applicable au contrat de mariage est toujours la loi anglaise. Dans un contrat matrimonial, les parties déterminent si les biens resteront séparés ou s’ils seront détenus en commun. Il est également possible d’organiser à l’avance ce qui se passerait en cas de rupture définitive de la relation et de définir à l’avance le montant de l’indemnité forfaitaire due en fonction de la durée du mariage. 

L’affaire qui a marqué l’Angleterre et qui modifie considérablement la manière dont les tribunaux considèrent les contrats matrimoniaux est l’affaire Granatino contre Radmacher, jugée par la Cour suprême le 20 octobre 2010. https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2009-0031-judgment.pdf

La Cour a décidé que les juges devaient donner effet à un accord matrimonial librement conclu par chaque partie en pleine connaissance de ses implications, à moins que, dans les circonstances actuelles, il ne soit pas équitable de tenir les parties pour responsables de leur accord. La Cour suprême a expliqué qu’il n’y a pas de distinction matérielle entre un accord prénuptial et un accord postnuptial. Il est important que chaque partie dispose de toutes les informations nécessaires à sa décision et que chaque partie ait l’intention que l’accord régisse les conséquences financières de la fin du mariage.

Exigences relatives aux contrats de mariage en anglais

– Un conseil juridique indépendant ou la preuve que le conjoint savait qu’il pouvait bénéficier d’un conseil juridique et qu’il l’a refusé.

– Information financière sur les actifs et les revenus des parties. 

– Signature 28 jours avant la célébration du mariage. 

Depuis la date de la Cour suprême, les juges ont noté que le délai de 28 jours signifie que les parties doivent disposer d’un temps suffisant pour négocier les termes du contrat. La Cour a donné du poids aux contrats signés le jour de la célébration du mariage. Par exemple, dans l’affaire HD contre WB, la Cour a confirmé un contrat prénuptial signé le jour du mariage. https://www.bailii.org/ew/cases/EWFC/HCJ/2023/2.pdf

Conclusion

Les accords matrimoniaux sont contraignants en France. Ils ne sont pas juridiquement contraignants en Angleterre, mais la Cour accordera du poids à un contrat qui n’est pas entaché d’un vice. La grande différence est que le tribunal anglais utilisera le concept de besoins financiers pour modifier les termes des accords matrimoniaux.

Un exemple récent d’affaire entre la France et l’Angleterre est l’affaire CMX contre EJX datée du 2 novembre 20224.

https://www.bailii.org/ew/cases/EWFC/HCJ/2022/136.pdf

Les parties avaient conclu un contrat de mariage français qui a été confirmé par les tribunaux anglais. Le juge a considéré que les contrats de mariage étaient fréquents en France, que le contrat signé par les parties n’était pas vicié et qu’il ne devait pas interférer avec le principe de séparation des biens que les époux avaient choisi dans leur contrat français. En appliquant le partage des biens conformément au contrat de mariage, l’épouse a conservé 2,7 millions de livres sterling et le mari 13 millions de livres sterling. Le juge a utilisé la notion de besoins financiers pour accorder une somme forfaitaire de 9,4 millions de livres.

En 2014, la commission juridique anglaise a rédigé un rapport sur les “qualifying nuptial agreements” (accords matrimoniaux qualifiants) afin de faire appliquer les contrats matrimoniaux en tant que contrats. On espère que le Parlement examinera bientôt ce projet de loi…